Le hangar « Freyssinet »

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Le hangar « Freyssinet » de la base aérienne 702 d’Avord
Guilhem Labeeuw, membre 2A

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Le hangar « Freyssinet » de la base aérienne d’Avord est le dernier exemplaire encore intact d’un ensemble de huit  hangars « voûte » en béton armé construits dans les années 1915-1917 par la société des entreprises Limousin et conçus par l’ingénieur E. Freyssinet. A l’origine, destinés au stationnement d’avions « lourds », ces hangars constituaient sans doute la première réalisation de hangar pour avions en béton armé en France. Le dernier exemplaire est encore utilisé aujourd’hui pour les besoins de la défense sol-air.


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Carte postale d’un des hangars entièrement ouvert
Collection G. Labeeuw

Historique du dernier hangar « Freyssinet »

L’histoire de ces hangars commence en réalité dès 1913 lorsqu’Eugène Freyssinet présente à la Chefferie du Génie d’Orléans des projets de hangars pour avions en béton armé. L’article du Génie Civil du 22 septembre 1923 en détaille l’argumentation : « Un de ces projets comportait l’emploi d’une série de nefs voûtées, recoupées par une nef identique, mais perpendiculaire aux précédentes, de manière à déterminer des voûtes d’arêtes. La note descriptive du projet fut jugée paradoxale, parce qu’elle affirmait que, pour la construction des grands hangars d’aviation, le ciment armé permettra de réaliser des conditions de solidité, de sécurité, d’étanchéité et de résistance à l’incendie, inconnues jusqu’à ce jour (N.D.L.R :1913), avantages auxquels viendra s’ajouter l’économie du prix de revient. La guerre fit abandonner ces projets, mais ils furent repris au cours de l’hiver 1915-1916. Les inconvénients des hangars légers s’affirmant de plus en plus, nous fîmes accepter aux services du Génie, un type de hangars voûtés de grandes dimensions, dérivant des
projets de 1913 ».

Fin 1915, le projet de Freyssinet refoulé deux ans plus tôt refait donc surface avec d’autant plus d’intérêt que la pénurie d’acier rendait difficile l’emploi de charpentes métalliques. Il remporte le programme de construction de 8 hangars doubles avec l’entreprise Limousin, pour lequel les Bétons armés Hennebique avaient également répondu, sans prendre la mesure de l’enjeu que représentaient ces hangars. Avec ces hangars, Freyssinet conçoit une structure en voûte de 46m de portée, une prouesse technique pour l’époque (certains vont même jusqu’à dire que ces hangars auraient battu le record du monde de portée en maçonnerie détenu par le Panthéon à Rome) et ouvre la voie à de nombreuses réalisations prestigieuses de hangars avions en béton.

Les bombardements alliés de 1944 vont considérablement endommager les 8 hangars. On peut voir dans les archives du
musée de la base d’Avord des photos montrant les modules restant encore debout ainsi que les poutres au vent en béton au droit des grandes portes métalliques. Deux hangars non détruits en 1944 conservent leur destination aéronautique durant plusieurs années, en accueillant jusque dans les années 60 un groupement d’instruction. Par la suite, il n’en
restera plus qu’un seul utilisé pour effectuer la maintenance de matériels roulants de défense anti-aérienne type (Crotale NG) jusqu’à aujourd’hui où il abrite désormais le centre de formation des derniers matériels roulants SAMP/T (Sol Air Moyenne Portée – Terrestre) de l’Armée de l’Air.

Un des hangars détruits par les
bombardements alliés de 1944
Collection : Musée de la base d’Avord

Un concepteur de génie, Eugène Freyssinet

Eugène Freyssinet

Eugène Freyssinet (1879 – 1962), polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées, est d’abord connu pour ses réalisations d’ouvrages d’art et ses travaux novateurs dans le domaine du béton précontraint. Mais les débuts de sa carrière seront marqués par des projets plus divers où il fait preuve d’une passion sans fin pour le béton armé, matériau encore peu connu en 1914 sauf de certains spécialistes comme les « bétons Hennebique ». Capitaine du génie au début 1914, Freyssinet sera finalement mis à disposition de la maison Mercier à Moulins, société de travaux dans laquelle qui il avait débuté avant-guerre. Il y travaille en compagnie de Claude Limousin, camarade de promotion à l’école des Ponts, puis au sein de l’entreprise Limousin issue de la séparation de C. Limousin avec la maison Mercier en 1916. La période 1914-1918 fut riche de réalisations diverses liées aux reconstructions ou à l’effort de guerre (usines, dépôts, hangars de chargement…). Le manque d’acier durant la guerre va permettre de mettre en avant les structures en béton, Freyssinet se « trouva dans son élément : construire à chaque fois quelque chose de différent, inventer à chaque fois, imaginer de nouveaux systèmes, de nouveaux procédés, accumuler les expériences, les perfectionner, appliquer le béton en toute occasion, depuis une nef industrielle jusqu’à une barque, en passant par un affût de canon. » (extrait du livre de J.A. Fernandez Ordonez).

Après la construction des hangars d’Avord, Freyssinet construira une série plus importante de hangars du même type sur la base d’Istres ainsi qu’un exemplaire unique de hangar triple de près de 120 m de portée sur la base de Villacoublay en 1919. Fort de cette expérience, Freyssinet poursuivra ses réflexions autour des structures en béton en concevant de nouvelles structures de hangars aéronautiques tout au long des années 20 (Villacoublay, Orly, Berre, le Palyvestre,…).
A la fin des années 20, il tourne la page « aéronautique » pour se consacrer définitivement au développement du béton précontraint avec le succès qu’on lui connaît.

Caractéristiques dimensionnelles et structurelles

Les dimensions du hangar d’Avord sont les suivantes : 60 m de longueur, 46 m de largeur à la base de la voûte et un peu plus de 11 m sous voûte. Le Lieutenant-Colonel Espitallier, dans son cours de béton armé, classe ces hangars dans la catégorie des hangars en voûte à culée perdue. A la différence des hangars pour lesquels la charpente et la couverture sont constitués de deux éléments distincts, Freyssinet conçoit une structure plus « avantageuse » en forme de voûte en « berceau complet en ciment armé, raidi par des arcsnervures ». Pour les arcs-nervures, Freyssinet préfère encastrer les arcs au sol sur des culées plutôt qu’un arc à 3 rotules, comme le hangar à dirigeable d’Ecausseville de l’ingénieur Lossier à la même époque. Les arcs-nervures, situés sur l’extrados de la voûte, sont espacés de 3,91m et des hourdis d’épaisseur variable, 9 cm à la clef de voûte jusqu’à 30 cm au niveau des culées constituent le remplissage entre les arcs. Le coffrage a été réalisé en deux temps : les voûtes sont réalisées en premier à l’aide de coffrage de surface unie, puis de petits coffrages permettent de réaliser les nervures de façon répétitive.

A gauche, vue du demi-pignon accueillant la porte (version Istres).
A droite, coupe et ferraillage d’un arc-nervure au droit d’une culée.
Source : extrait du cours de béton armé de M.G Espitallier

Reportage photographique



Pignon sud
Coll. : G. Labeeuw

Pignon sud
Coll. : G. Labeeuw



Pignon nord
Coll. : G. Labeeuw

Pignon nord
Coll. : G. Labeeuw

Les autres réalisations du même type (détruites) : Istres et Villacoublay

Camp d’aviation d’Istres (1917-1919) :

L’article sur Claude Limousin paru dans « l’Architecture d’Aujourd’hui, 1932 n°01,Chapitre 17 », mentionne la construction de 32 hangars en béton. Au vu des cartes postales retrouvées, seul un groupe de trois hangars accolés formant atelier et une à deux séries de sept hangars accolés ont pu être identifiés. Ces hangars aux dimensions légèrement plus petites que ceux d’Avord (42 m de longueur par 46 m de largeur) ne comportent de porte métallique que sur un seul des pignons, sans doute en fonction de l’orientation des pistes en herbe. Aucun des hangars d’Istres n’a survécu aux bombardements de 1944.

 



Carte postale ancienne montrant en arrière plans les trois hangars accolés
Coll. : G. Labeeuw


Vue d’un des ensembles de hangar, vers les pistes en herbe
Coll. : Anciens-Aérodromes – M-F.Repillet - DR

Service Technique de l’Aéronautique de Villacoublay (1919) :
Sur ce plan et cette vue aérienne de 1926, on distingue clairement le triple hangar à côté d’un hangar de type bow-string, le long de ce qui deviendra l’actuelle A86. Le hangar est constitué par la juxtaposition de trois voûtes en berceau parallèles, coupées par deux autres voûtes centrales perpendiculaires joignant la clé des premières voûtes, libérant ainsi une surface intérieure libre de 120 m de largeur x 45 m de profondeur. Par là-même, il correspond au projet de hangar imaginé par Freyssinet en 1913. Ce hangar a été complètement détruit lors des bombardements de 1944.



Vue aérienne du hangar triple en 1926
Coll. :IGN - Photothèque nationale

Vue de l’intérieur du hangar triple
source : Le Génie civil, 22 septembre 1923

Sources

Livres :

Eugène Freyssinet, José Antonio Fernandez, 1979 (édition bilingue), Ed. Sociedad Cooperativa
Insdustrial de Trabajo Asociado
Cours de béton armé de M.G Espitallier, 1925, 10ème édition, Ecole Spéciale des Travaux Publics

Revues :

L’Architecture d’Aujourd’hui, 1932 n°01,Chapitre 17 (p88) : article sur les entreprises Limousin

Organismes :

Musée de la base aérienne d’Avord